Marcel Légaut, grand intellectuel scientifique et spirituel français du XX ème siècle, est venu, à l’âge de quarante ans, s’installer non pas dans le village-même de Lesches-en-Diois mais dans l’un de ses hameaux isolés, celui des Granges, au pied de la crête reliant le col Maur au col Lagier, à l’ouest de la montagne du Puy.
De professeur universitaire de mathématiques à Rennes, il devint agriculteur et berger en achetant terrains et bâtiments en ruines dans ce coin retiré du Haut-Diois. Cette démarche d’ ” un retour à la terre “, bien banale aujourd’hui, apparaît en 1940 singulière et originale ! C’était pour lui “une rupture” avec son ” vécu ” qui le ” fossilisait ” !
Pourtant, rien ne prédestinait Marcel Légaut à ce destin drômois.
En effet, au décours de brillantes études secondaires et supérieures à Paris qui le conduisent à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm et ensuite à un poste de maître de conférences, sa vie semblait inscrite, après sa titularisation de professeur de faculté en 1934, dans un cursus universitaire tracé.
Mais alors qu’est-ce qui a poussé, à cette époque-là, un mathématicien à quitter les honneurs de l’Université, à abandonner sa chaire de Faculté et progressivement la recherche mathématique et l’enseignement pour venir se retirer, avec son épouse Marguerite, dans ce hameau abandonné et perdu et, dès le premier contact, affronter pendant quatre mois un rude hiver enneigé ?
La réponse est simple et laisserait incrédule si elle n’était donnée par Marcel Légaut lui-même : “l’Homme a besoin de s’intérioriser pour se tenir debout ” ! Mais son besoin personnel d’ “intériorité ” ne peut se comprendre s’il n’est pas replacé dans sa propre quête spirituelle de relation avec Jésus ; ” quelqu’un d’unique dans ma vie ” disait-il. Pour lui, ” Jésus est l’Homme debout “. En revanche, sa foi de “chrétien, c’est-à-dire disciple de Jésus”, ne l’ aveuglait pas, sachant même se montrer très critique à l’égard de cette religion qui “empêche trop souvent d’être religieux” et craignant d’ailleurs que l’ Eglise ne devînt “une secte” sans une “mutation…nécessaire”.
Déjà, lors de son service militaire, très circonspect à l’égard de ses camarades officiers, il préfère, ” … au bruit ” de leur mess aménagé dans un château, le silence du cimetière voisin pour aller “méditer sur les tombes de ces vieux paysans qui avaient construit le pays et avaient trouvé là la possibilité d’être beaucoup plus “hommes”, et sans la prétention de l’être, que beaucoup de ceux qui étaient à la table du général commandant la 2 ème Armée de l’Air…” (cf. lien audio vidéo ML Berger). ” Je me ferai berger “a-t-il affirmé, un jour, aux officiers qu’il côtoyait et c’est durant le temps passé auprès de son troupeau qu’il continua à méditer, à réfléchir et à concevoir la trame de ses nombreux ouvrages. Quiconque n’a jamais gardé un troupeau de moutons ne peut comprendre ni supposer l’inspiration et la richesse de la réflexion qui peuvent naître de ces moments uniques et privilégiés !
Après une brève et compréhensible phase d’étonnement et de curiosité de la part des villageois, Marcel Légaut est devenu tout naturellement un nouveau paysan leschois aidé par ses plus proches voisins, sollicitant des conseils au village-même tandis que les jeunes filles n’hésitaient pas, elles, à monter au col pour aller rendre visite à Madame, discuter avec elle et apprécier les habits de la ville. Dans l’un de ses livres il s’analysait plutôt comme un “intellectuel hors cadre” car pour lui c’est une “étrange existence que celle de l’intellectuel qui devient manuel” (Travail de la Foi).
Bien entendu, durant la période de la Seconde Guerre Mondiale, il ne peut que se montrer fidèle à ses idées et à sa foi, apportant une aide à la Résistance et accueillant dans ce sanctuaire des Granges des résistants, des juifs, des réfractaires au STO et même un allemand opposé au nazisme. Voulant faire partager aux Leschois son approche de Jésus, de la foi, de l’Eglise et même de la culture en général au travers de la musique classique par exemple, il organisait des réunions d’échange et de discussions au village dont le souvenir est encore présent.
Les années ont passé, la famille s’était agrandie tandis que Marcel Légaut, loin des Cercles intellectuels établis, continuait sa réflexion intérieure et son questionnement sur Jésus, la Chrétienté et l’Homme ; en témoignent ses nombreux ouvrages et ses conférences. Pour Marcel Légaut “la grande question” se résumait ainsi : “Qui êtes-vous Jésus…? Qui êtes-vous, Seigneur, que j’aime comme si aujourd’hui, ici, vous m’étiez humainement présent ? ” (Travail de la Foi).
Chaque été, d’ailleurs, le petit hameau perdu accueillait de nombreuses personnes, des scouts, tous rassemblés dans une « communauté » bouillonnante de discussions sur les thèmes chers à leur hôte. Durant cette période, il arrivait à quelques jeunes de venir à pieds jusqu’à la place du Charel pour animer une soirée autour d’un feu de camp dont il est gardé un souvenir ému par ceux qui ont connu cette époque.
“Je crois, oui, dans l’avenir d’une fraternité humaine, mais avec toutes les péripéties du voyage” disait-il ; le 06 novembre 1990, qui plus est sur le quai d’une gare, il en commença un autre…
Il serait illusoire d’essayer de résumer en quelques lignes la vie et l’œuvre de Marcel Légaut, mathématicien, paysan, philosophe, berger, écrivain, chrétien, “chercheur religieux” (ML) mais la connaître ne peut laisser indifférent et est à même de faire comprendre, à maints égards, la société actuelle.
Quoi de plus exemplaire que cette phrase livrée lors d’un entretien trois semaines avant sa mort en 1990 : « un homme vivant est un homme qui fait vivre la société. La société, elle, ne peut produire que des « hommes-mannequins » ! Tout est dit !
Sa pensée était simple et claire : « Oh, n’être rien mais seulement être ! »
Le lien ci-dessous permet de découvrir ce personnage hors du commun connu dans le monde entier et de se plonger dans ses réflexions.