C P Drôme années 1960

Des premières occupations humaines aux débuts de nos civilisations

Entre Rhône et Alpes, le territoire drômois présente un riche patrimoine préhistorique, une diversité de sites et de périodes, un demi-million d’années d’histoire humaine… Sur les anciennes terrasses alluviales qui forgent au cours des temps glaciaires les paysages, se trouvent les traces les plus anciennes de présence humaine, galets taillés, premiers outils, datés de 400 000 ans. Au cours du Paléolithique, les steppes froides occupent les plaines où vivent de grands troupeaux d’herbivores. Les occupations de chasseurs nomades se retrouvent en grottes, mais aussi en campements de plein air. Ils nous ont laissé, il y a 17 000 ans, des œuvres d’art, puis 3 000 ans plus tard, un des premiers systèmes de notation, prémices de l’écriture, important jalon de l’histoire. Dès le Ve millénaire avant J.-C., l’occupation humaine se densifie, l’agriculture, le pastoralisme transforment le paysage. Les sites, nombreux, témoignent d’une organisation territoriale, de circulations lointaines, d’échanges de matières premières, d’objets, d’idées. Développement des villages, complexification de la société ne vont cesser de croître jusqu’aux âges des métaux pour faire de la Drôme un territoire ouvert, entré dans l’histoire de nos civilisations bien avant la fin de l’âge de pierre.

Les peuples préromains

L’évolution des techniques agricoles et de la maîtrise des ressources naturelles, notamment des métaux (or, argent, cuivre, bronze puis fer), procure une aisance matérielle favorisant les échanges entre populations. On voit apparaître les premiers villages (Saint-Ferréol-Trente-Pas, Saoû, Marignac), puis les oppida (Le Pègue). Par Marseille, comptoir commercial grec, l’influence de la Méditerranée remonte jusqu’aux montagnes drômoises. Les Gaulois sont des mercenaires appréciés sur tout le pourtour de la Méditerranée. Les peuples situés entre les Alpes et le Rhône sont appelés indifféremment Celtes, Ligures ou Gaulois par des voyageurs grecs ou romains. Quelques descriptions plus précises indiquent qu’entre Durance et Rhône, les Cavares occupaient les plaines et les Voconces les Préalpes, alors qu’à partir de l’Isère, s’étendaient les Allobroges, jusqu’aux Alpes du Nord. La présence des Voconces est assurée en Diois et Baronnies, mais définir précisément les limites de leur territoire reste délicat. Le Royans était-il allobroge ou voconce ? Avant la fondation de Valentia, jusqu’où s’étendaient les Segauvellaunes de la vallée du Rhône et leurs voisins Tricastins ? La conquête romaine du sud de la Gaule, au IIe siècle avant J.-C., a dû provoquer de profonds bouleversements dans cette géographie politique. L’époque romaine Une algarade entre Marseille et ses voisins gaulois, en 125 avant J.-C., permet à Rome de s’assurer militairement la maîtrise des côtes méditerranéennes de la Gaule, en direction de l’Espagne nouvellement conquise, et du couloir rhodanien donnant accès à la route de l’étain. Après la conquête de la Gaule du nord par César entre 60 et 50 avant J.-C., s’intensifie l’administration romaine des cités avec la création de la colonie de Valentia, puis la mise en place des capitales Lucus Augusti (Luc-en-Diois, Voconce) et Augusta Tricastinorum (Saint-Paul-Trois-Châteaux, Tricastin). Les inscriptions révèlent les noms d’administrateurs, de magistrats et de prêtres. Les dieux gaulois, très semblables aux dieux romains, sont rapidement assimilés. Les villes se parent de monuments publics (théâtre de Valence, temple de Luc, forum de Saint-Paul…), d’aqueducs, d’enceintes, de portes et de ponts. Hors agglomération, s’organisent les thermes et les nécropoles, avec stèles funéraires et mausolées. Les grandes demeures privées, en ville (domus) comme à la campagne (villa), s’ornent de colonnes et de mosaïques. Au sein de territoires organisés et cadastrés à l’échelle d’un empire qui couvre la totalité du bassin méditerranéen, les villae, centres de domaines agricoles, produisent principalement, entre Rhône et Alpes, du vin, mais également des fruits, des céréales, et du bétail pour la viande, le cuir, la laine et les os, à l’origine d’un artisanat fleurissant. Des matériaux de construction (carrières de pierre, tuileries) sont produits localement et complétés par l’importation de matériaux de luxe, parfois de provenance lointaine, comme les marbres méditerranéens. La vaisselle peut être fabriquée sur place (céramistes de Dieulefit) ou importée (verres, céramiques fines…). Le IIIe siècle voit de profonds bouleversements : crises climatiques, politiques, militaires et économiques se succèdent. On assiste à la fortification de la voie stratégique de la Drôme (fortin de Luc, enceinte de Die, réaménagement des murs de Valence), passage hivernal commode entre Rome et le nord de l’empire. C’est dans ce contexte que se diffuse le christianisme, et dès le IVe siècle, les premiers évêques prennent une importance politique soutenue par l’empereur Constantin. Mais ces troubles attirent les peuples de Germanie qui, en deux siècles, passent ou s’installent en Gaule. À la fin du Ve siècle, les quatre diocèses de la Drôme dépendent des rois burgondes, puis francs. Une élite aristocratique augmente ses terres et son pouvoir pour donner, peu à peu, naissance aux comtes carolingiens et à la féodalité médiévale.

Féodalité et émergence des principautés

Entre l’an mil et la fin du Moyen-Âge, les territoires drômois restent placés sous la suzeraineté de l’empereur d’Allemagne, comme les autres terres situées à l’est du Rhône. Mais ce fragment de terre d’Empire est en fait largement indépendant jusqu’au XVe siècle. Une mosaïque de petites principautés, dont les origines féodales sont méconnues, s’y interpénètrent. Au XIIe siècle, le territoire situé entre Valloire au nord, Eygues au sud et Préalpes à l’est, est ainsi partagé entre les dauphins d’Albon, les comtes de Poitiers-Valentinois, les barons de Mévouillon, de Montauban ou de Clérieu et les Adhémar de Monteil. A la fin du XIIe siècle, des diplômes de l’Empereur germanique reconnaissent leur pouvoir ainsi que celui des évêques de Valence, de Die et de Saint-Paul-Trois-Châteaux. A la même époque, les centres urbains accueillent les palais et les châteaux de ces familles, mais les villes parviennent à s’émanciper et obtiennent, au siècle suivant, des règlements municipaux qui limitent le pouvoir de ces seigneurs, laïques ou ecclésiastiques. Dans les campagnes, les villages se développent autour de sites fortifiés. Certaines communautés humaines s’installent en très haute altitude entre le Xe et le XIIe siècle, bénéficiant d’un climat plutôt clément. Ces implantations sont fondées sur une économie agro-pastorale qui valorise les ressources de vastes espaces naturels, abandonnés par la suite. C’est au XIIe siècle que les campagnes atteignent leur maximum démographique, et au siècle suivant, leurs habitants obtiennent les premières chartes de libertés. Le XIIIe siècle inaugure une période de guerres violentes qui ravagent la région, relayées par les pestes du milieu du XIVsiècle et les catastrophes climatiques liées au « petit âge glaciaire ». De nombreux villages fortifiés disparaissent au cours de cette période marquée par une crise économique et démographique profonde de plus de cent ans. Progressivement, les principautés issues de la féodalité s’agrègent au Dauphiné. Les baronnies de Montauban  puis de Mévouillon lui sont définitivement rattachées en 1315 et 1317. Le comte de Valentinois reste souverain de la majeure partie du Valentinois, du Diois et du Tricastin en limite des terres papales au sud. Ce n’est qu’après l’abandon des prérogatives du duc de Savoie sur l’héritage du dernier comte de Valentinois en 1450 que l’ensemble du territoire de la Drôme devient dauphinois, le sud conservant encore quelques enclaves papales ou provençales.

La Drôme dans la principauté dauphinoise

L’intégration progressive des territoires drômois dans le Dauphiné est le résultat d’accroissements qui reposent essentiellement sur les héritages et les acquisitions. Mais ce sont l’administration et la justice des Dauphins qui scellent ce rattachement. Au début du XIVe siècle, le territoire drômois est divisé entre le baillage de Saint-Marcellin au nord et celui des Baronnies au sud. Après l’annexion du comté de Valentinois et du Diois, une sénéchaussée est créée à Valence en 1447. Justice et administration se distinguent progressivement. Des châtelains administrent des seigneuries qui relèvent directement du domaine du dauphin, alors que des gouverneurs s’occupent des affaires militaires. Le « transport » du Dauphiné au royaume de France en 1349 conforte ces institutions, à commencer par le Conseil delphinal. Mais ce territoire est aussi traversé par des heurts qui lui sont extérieurs. A la fin du XIVe siècle, les Baronnies subissent ainsi les guerres entre Dauphinois et Provençaux et le passage des Grandes Compagnies. A la suite d’un conflit avec Charles VII, le dauphin Louis II (futur Louis XI) se replie sur la principauté entre 1447 et 1461, l’administre en monarque, signant aussi la fin de son indépendance.

Guerres et prospérité

Après 150 ans de crises économiques et démographiques, les villes et les campagnes du territoire de la Drôme connaissent une nouvelle croissance à partir de la fin du XVe siècle. La population augmente, des villages sont à nouveau habités. Des activités artisanales se développent (poterie à Dieulefit, draperie et tannerie à Romans), jusque dans les moindres villages. Châteaux de plaisance ou maisons bourgeoises s’embellissent en s’inspirant du style de la Renaissance. Des fermes sont bâties hors des villages. Les guerres d’Italie (1494-1559), malgré leur cortège d’impôts et de passages de troupes, n’interrompent pas ce développement. Mais, à partir de 1560, les troubles religieux qui apparaissent d’abord au sud puis rapidement à Valence, ajoutent la désorganisation et les destructions à la crise agricole et économique. Les épisodes les plus dramatiques ont lieu au cours des années 1562-1568 et 1572-1580, mêlant parfois affaires religieuses et contestations sociales. A leur terme, les protestants tiennent la majeure partie des montagnes (Diois et Baronnies), alors que les catholiques contrôlent la vallée du Rhône. L’épisode de la Ligue (1585-1595) entraîne de nouvelles campagnes qui tournent rapidement au profit des partisans d’Henri IV, protestants ou catholiques, contre les ligueurs.

Une Drôme moderne

De la création de nouvelles administrations (élections à Montélimar, Romans et Valence, sénéchaussée à Valence) à la fin du « Procès des tailles » (1634), en passant par les destructions de nombreuses forteresses dans les années 1630, l’État absolutiste semble imposer progressivement ses institutions et son pouvoir à partir des villes. La pression fiscale devient aussi plus lourde, tout comme le poids des dépenses et des garnisons militaires. L’économie en souffre. Les activités artisanales ne parviennent presque jamais à atteindre le cap de la manufacture et régressent à la faveur de crises conjoncturelles. Leur existence est aussi mise en cause avec le départ de nombreux protestants après la révocation de l’Édit de Nantes (1685). Il faut en fait attendre les années 1730 pour observer, dans la Drôme, un véritable renouveau économique, fondé sur de nouvelles activités et de nouvelles formes d’exploitation. Le travail de la soie, la toilerie ou les cotonnades se développent en lien avec le marché lyonnais, alors que les paysans se tournent plus volontiers vers des productions destinées à la vente. Ce dynamisme économique est à l’origine de profonds bouleversements sociaux, alors que les contestations de l’ordre seigneurial sont plus vives.

La Drôme, un département dans la Révolution

De la réunion des états du Dauphiné à Romans, en septembre et novembre 1788, à la mort de Pie VI à Valence en août 1799, en passant par les épisodes de la « Grande peur » au cours de l’été 1789, la création de la première Fédération de France à étoile en décembre 1789 ou par le soutien drômois apporté à la Convention au cours de l’été 1793, le département et ses habitants ont pris leur part dans les événements de l’épisode révolutionnaire. Ils participent également aux campagnes militaires, où se distingue notamment le général Championnet. L’administration départementale y gagne aussi sa légitimité, alors qu’à sa création, en 1790 la Drôme pouvait apparaître comme un agrégat de pays très différents. La perte, en 1791, des communes de l’ancienne principauté d’Orange, réunies au département de Vaucluse, ne menace pas l’unité drômoise et Valence en devient le centre administratif. Après les crises des années 1785-1790, l’économie départementale est de plus en plus attachée à Lyon. La Drôme commence à accueillir des ateliers qui travaillent pour des négociants lyonnais. La modernisation des moyens de transports, terrestres et fluviaux apparaît comme une nécessité. Mais les moyens manquent.

La Drôme au XIXe siècle

Création de la Révolution, la structure départementale est confortée par l’Empire avec de grands préfets comme Collin et surtout Descorches qui mettent en place un appareil administratif  (préfecture), politique (conseil général, mairies) et judiciaire qui existe encore aujourd’hui et règle les conflits religieux. La répression du brigandage et les impulsions pour développer de nouvelles productions permettent, malgré des crises, une reprise des activités économiques dominées par l’agriculture. La Restauration, puis la Monarchie constitutionnelle favorisent par l’élection censitaire (560 électeurs jusqu’en 1 830, 1 100 puis 2 000  ensuite) la mainmise politique de grands notables légitimistes ou orléanistes issus de la noblesse terrienne (Monier de la Sizeranne à Tain, Plan Sieyès à Valence), du monde des manufacturiers (Latune à Crest, Morin à Dieulefit), des jurisconsultes (Bérenger de la Drôme). A la ferveur catholique (apparitions mariales, pèlerinages…), réanimée par des confréries et de grands évêques (De la Tourette, Chatrousse), répond le réveil protestant (troisième communauté de France avec 37 000 membres au milieu du siècle). Marquée par la transition démographique (lente baisse de la mortalité et maintien d’une forte natalité), la Drôme connaît une vigoureuse croissance démographique (235 500 habitants en 1801, 327 000 en 1851, dont les deux tiers en zone rurale qui vivent de la terre). Les communes rurales sont à leur maximum de population autour des années 1850. L’essor des villes, la révolution de la vicinalité, l’apogée de la navigation rhodanienne avant un long déclin, l’arrivée du rail en 1854 à Valence, bouleversent l’économie et accélèrent l’exode rural. Le monde de la terre est transformé par les engrais, les cultures spéculatives, le progrès des rendements. Mais au milieu du siècle de grandes crises et maladies frappent : la pébrine pour la sériciculture et le phylloxéra pour la vigne. Les industries traditionnelles (laine, poterie, …) déclinent. Le relais est pris par la filature et le moulinage de la soie, industries rurales et féminines et par de nouvelles activités : la chaussure dont Romans est la capitale, la chapellerie et les industries agro-alimentaires (meunerie, pâtes, nougats, huile d’olive). La Drôme devient républicaine après les événements fondateurs de la Seconde République et l’insurrection de 1851 durement réprimée. Sous surveillance sous le Second Empire, le département confirme son attachement à la République avec de grands élus républicains (Emile Loubet à Montélimar Président de la République de 1899 à 1906), radicaux, francs-maçons (Maurice Faure à Saillans, ministre de l’Instruction …), ou socialistes (Jules Nadi à Romans). 

La Drôme du XXe siècle

La Première Guerre mondiale mobilise 50 000 Drômois (9 000 mourront), tandis que bon nombre d’usines tournent à plein : cartoucheries, métallurgie, chaussures, draperies, soieries. Entre les deux guerres, le malthusianisme affecte la population qui ne retrouve son niveau de 1850 qu’en 1965 malgré le sang neuf des Ardéchois venus en voisins, des Arméniens entre les deux guerres, puis les vagues migratoires italiennes, espagnoles et africaines du Nord après la Seconde Guerre. A la forte croissance économique et la nouvelle phase d’industrialisation des années 1920, initiée par la Banque de la Vallée du Rhône, en particulier, succède la crise des années 1930 qui affaiblit toute l’économie drômoise et accentue sa dépendance à l’égard de capitaux extérieurs. La terre manque de bras et l’agriculture qui ne se mécanise que lentement subit la concurrence étrangère. Les cultures fruitières et maraîchères deviennent une spécialité fortement exportatrice surtout après la Deuxième Guerre mondiale. L’hydro-électricité, développée d’abord dans le Vercors et sur l’Isère, connaît son apogée après la Deuxième Guerre avec l’équipement du fleuve-roi par la Compagnie Nationale du Rhône, fondée en 1921. La production d’électricité devient une spécialité drômoise avec l’implantation du nucléaire à partir des années 1960. Aux jours sombres de la défaite succèdent des actes résistance d’abord dispersé puis en réseau. En juillet 1944, se déroulent les tragiques événements du Vercors, qui anéantiront l’un des tout premiers maquis de France. Entre les deux guerres, la SFIO premier parti de gauche en Drôme, a succédé aux radicaux. Après la Deuxième Guerre mondiale, la montée du parti communiste y compris en zone rurale et la poussée du MRP ne résistent pas à la vague rose. Bastion de la gauche jusqu’au milieu des années 1980, la situation du département est aujourd’hui faite de contrastes. La montagne drômoise fragile connaît un renouveau démographique avec le tourisme. L’agriculture biologique renouvelle des spécialités agricoles en difficulté, aviculture et arboriculture. Les infrastructures (autoroute, TGV) lacèrent la vallée du Rhône marquée par l’urbanisation puis l’étalement urbain mais favorisent la forte attractivité du département qui compte plus de 460 000 habitants aujourd’hui. Création administrative de la fin du XVIIIe siècle, la Drôme s’est ainsi fait, au début du XXIe siècle, un nom et une place dans le Rhône moyen.  

Textes de Jacques-Léopold Brochier, Michèle Bois, Jacques Planchon, Alexandre Vernin, Philippe Bouchardeau in Guide des patrimoines drômois
http://www.coeurendrome.fr/