Qu’elle était jolie la petite chèvre de M. Seguin ! Qu’elle était jolie avec ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier, ses sabots noirs et luisants, ses cornes zébrées et ses longs poils blancs qui lui faisaient une houppelande !… et puis docile, carressante, se laissant traire sans bouger, sans mettre son pied dans l’écuelle.

Alphonse Daudet Lettres de mon moulin.

Jusque dans les années 1960, pendant les mois d’hiver, les chèvres ne pouvaient pas sortir de leur étable et pourtant il fallait bien les nourrir, tout particulièrement pendant la période de gestation des chevreaux. Le fourrage étant insuffisant et onéreux, les éleveurs leur donnaient à manger « les feuilles séchées » des arbres à feuilles caduques, saules, peupliers, frênes, hêtres et chênes.

C’est ainsi qu’au début de l’automne, avant le jaunissement et la chute des feuilles, aller « faire de la feuille » était une expression banale et cette activité était aussi importante  que les labours, l’épandage du fumier et les semailles des céréales en automne.

Elle se déroulait en plusieurs temps : un adolescent ou un jeune homme, muni d’une hachette, grimpait dans les arbres, notamment ceux des haies, parfois très haut pour les peupliers d’Italie, tout en coupant toutes les branches, laissant le tronc quasiment nu. Au sol, un autre regroupait les branches en fagot qu’il liait avec une petite tige d’osier ou de saule. Parfois lorsque les arbres des haies ne suffisaient pas, les fagots étaient faits en forêt sur les taillis de hêtre ou de chêne. En fin de journée, ils étaient disposés verticalement les uns contre les autres, comme une meule, en un « fulachier », ce qui permettait de faire sécher les feuilles tout en gardant leur qualité nutritive. Au début de l’hiver, avant les chutes de neige, les fagots étaient transportés dans une charrette tirée par un cheval puis rangés dans une grange ou une remise.

Chaque jour de l’hiver un ou plusieurs fagots étaient déposés dans la bergerie et les chèvres se régalaient de toutes ces feuilles. Le lendemain les branches dénudées rejoignaient le tas de bois servant à allumer le feu.

De nos jours, cette expression « faire de la feuille » n’est plus entendue ni même comprise car elle a disparu avec la fin de l’élevage caprin  au village.

Cette pratique, bien connue des éleveurs, n’était pas seulement locale.

Dans L’Almanach dauphinois 2020 (p. 55) une lectrice raconte la fin de chaque été passée à aller « couper de jeunes frênes et des branches avec leurs feuilles » pour faire sécher ensuite les fagots. Durant l’hiver, chaque semaine un fagot sec était donné aux chèvres pour compléter leur alimentation et les régaler. « Cela soulageait leurs dents » disait son père.

Toute une époque révolue !